L’Abhinaya vise à dépasser la technique dansée ou chantée pour tendre vers ce que les indiens nomment rasa, l’expérience esthétique. Après que la gestuelle et les pas de danse ont été assimilés, l’attention se porte sur l’expression artistique proprement dite : intelligence du thème, compréhension de l’histoire, composition et développement des scènes, travail sur le ressenti et la qualité sensible de l’interprétation. En abordant l'histoire, il s'agit tout d'abord de s'imprégner de son atmosphère. S'il s'agit d'une rencontre amoureuse entre Rama et Sita par exemple, toute la scène sera baignée de ce sentiment, le sringara. Porté par cet élan, l’acteur-danseur devra faire en sorte que son rôle perçoive tout différemment : le lieu où il (ou elle) se trouve sera sans doute magnifique, il (ou elle) se laissera facilement gagner par la surprise, tout deviendra sujet d'émerveillement. Les sons, la musique, les senteurs, tout sera doux. Pour que le sringara soit là, il est nécessaire de créer l’environnement idéal, sensuel. Penser peut-être à des images de printemps, où tout est créatif, faire venir en soi cet état, où l’on trouve que tout est beau. Cela n’empêchera pas, une fois qu'on se sera baigné de ces sensations, de passer par exemple du doute à la crainte de l'abandon, de la jalousie à la colère : ces réactions émotionnelles resteront des déclinaisons de l’élan amoureux. La dispute, le harcèlement seront alors joués comme autant de preuves du trouble, du désordre amoureux. Une crise de jalousie sera ainsi jouée de façon bien distincte, selon que le couple est amoureux ou se déchire. De même, si le couple est vieux, il sera joué autrement que s’il est jeune. Ainsi, l’abhinaya conduit à distinguer plusieurs types d’héroïnes aux diverses phases de la vie. L’artiste présente sur scène une histoire que tout le monde connaît : celle-ci aura inspiré chants, danses, peintures ou sculptures. Du talent, de l’apport personnel de l’artiste, dépendra sa capacité à faire revivre le mythe pour tous.