Dire qu’Antônio Araújo, 42 ans, « mineiro » - né dans l’Etat du Minas Gerais, est le plus important metteur en scène brésilien de sa génération n’est pas exagéré. Personne ne peut sortir indifférent d’un spectacle signé par lui.
De son inquiétude « de voir l’homme contemporain perdu et éloigné de sa dimension sacrée » naîtra en 1992 son Teatro da Vertigem (Théâtre du Vertige), dans un pays où le théâtre se divise en deux mouvements principaux : d’un côté le théâtre commercial développé dans une démarche plutôt à l’américaine et de l’autre le théâtre de groupe basé sur la recherche et l’expérimentation.
Antônio Araújo a choisi son champ sans hésiter, immédiatement, car il a toujours su que pour avancer dans ses recherches il avait besoin d’une troupe permanente et stable, composée de comédiens réunis autour d’un noyau dur de créateurs responsables des éclairages, du décor et de la dramaturgie.
Antônio Araújo ne fuit pas non plus les difficultés, car en plus du choix du groupe, Tó, comme on l’appelle tendrement au Brésil, crée des spectacles qui requièrent d’autres espaces que les salles de théâtre habituelles. Par exemple, sa première création, Paradis perdu d’après John Milton se passait dans une église, Le livre de Job dans un hôpital désaffecté, Apocalypse 1,11 dans une prison désaffectée et BR-3 dans un bateau sur le fleuve Tietê qui traverse la ville de Sao Paulo. Tó, en véritable homme des planches, sait depuis longtemps que le théâtre est né sur une place publique et qu’au fil des siècles il a déjà occupé les espaces les plus divers. Ses choix sont dictés par la conviction que dans des espaces non-conventionnels le texte peut gagner en force.
Le Teatro da Vertigem, qui se veut hors de l’institution, un théâtre bâtard selon son directeur, est devenu le groupe le plus primé de la scène contemporaine brésilienne de ces deux dernières décennies : « le théâtre bâtard est, par la propre nature impure du théâtre, aussi légitime que n’importe quel “ autre ”. Son hybridité, plus qu’un signal de faiblesse ou de décaractérisation, semble remodeler, étendre et potentialiser ce qui existe de plus génialement théâtral. Le théâtre au niveau collectif, fruit de multiples paternités et polysémique, fissure les autorités individuelles et occupe l’espace public, entre le traditionnel et l’expérimental. »
La religiosité sera une constante dans le travail d’Antônio Araújo. Quand le Vertigem nous parle de spiritualité ou de transcendance, il utilise des langages corporels radicaux sans comparaison dans le théâtre brésilien, ce qui amène les gens à comparer le Teatro da Vertigem au Théâtre de la Cruauté d’Antonin Artaud.
Paradis perdu, basé sur l’œuvre homonyme de John Milton, a été présenté pour la première fois en 1992 à l’église Sainte Iphigénie, avec quatre heures du retard dû à des manifestations contre le spectacle organisées par les évêques et la communauté catholiques. La saison du spectacle a été perturbée par la polémique qui a attiré l’attention des médias, l’intervention policière, des menaces de bombes dans l’espace scénique, des lettres anonymes, des menaces de mort du metteur en scène, des interventions politiques et religieuses contre et pour le travail de ce groupe qui a su, dès ses débuts, se rendre visible.
Le spectacle suivant date de 1995. Avec Le livre de Job, le Teatro da Vertigem occupe trois étages de l’hôpital désaffecté Umberto Primo pour présenter ce spectacle qui raconte l’histoire d’un défi du Diable, à partir duquel Dieu va tester Job, qui met en question les actes du Seigneur et oscille entre la foi sans limite de ses amis juifs et le rejet absolu de toute croyance de sa femme. À la fin, seul Job, avec sa foi, sera capable de remettre en question les actes de Dieu, arrivera au troisième étage, la transcendance.
Trois ans plus tard, Antônio Araújo met en scène Apocalypse 1,11, où les personnages deviennent les maîtres de leurs destins après soumission à Dieu puis rébellion dans les spectacles ultérieurs. Le personnage de João poursuit son chemin entre la Nouvelle Jérusalem promise et Babylone la décadente, un cabaret où la star est le Diable, un travesti. Troisième et dernière partie de la « Trilogie Biblique » le spectacle a été conçu et présenté dans des prisons brésiliennes et dans des pays comme la Pologne et l’Allemagne. Le processus de création a été développé à partir d’ateliers avec des prisonniers du pénitencier de Carandiru, fruit d’un dialogue entre comédiens et non-comédiens sur une œuvre qui abordait la fin des temps et présentait un portrait à la fois cruel et réel de la réalité brésilienne.
Le quatrième spectacle du Teatro da Vertigem, BR-3 voit le jour en 2005 et a pour objectif de parler de l’identité brésilienne. Les champs de recherche choisis par le groupe ont en commun le radical BR : Brasiléia, ville au fin fond de l’état d’Acre, périphérie du Brésil, Brasília, le centre du pouvoir politique, mais aussi une capitale périphérique sur la carte du monde, Brasilândia, un quartier périphérique de la ville de Sao Paulo, la plus riche du pays. De ces paradoxes est née l’idée de travailler sur des dichotomies : archaïque/moderne; spectaculaire/non-spectaculaire, centre/périphérie.
De BR-3 José Celso Martinez Corrêa a dit que « quand apparaît une chose comme BR-3 c’est un symptôme que le pays est en train de vivre un grand moment, qui appelle toutes les énergies de la création pour les transformations que nous devrons faire. Aucune société décadente ne produit une œuvre pareille. Le théâtre devient l’endroit de l’énergie productrice de la joie créative capable d’affronter les impasses non résolues par la violence. ».
Dès ses débuts Antônio Araújo imprime de sa marque les spectacles du Teatro da Vertigem, l’aspect le plus radical de sa proposition de travail est sans doute sa conception du théâtre comme une recherche collaborative entre les comédiens, le dramaturge et le metteur en scène sur les questions de notre temps, du présent.
L’une des caractéristiques du Teatro da Vertigem est sa façon de travailler avec la participation de tous les membres du groupe. Le processus de création de l’oeuvre scénique peut se réaliser dans toute sa plénitude grâce à une dynamique de travail ou plutôt une méthodologie de création dans laquelle chacun des membres du groupe, à partir de ses fonctions spécifiques a le même espace pour faire des propositions, sans hiérarchie – ou avec des hiérarchies mobiles, décidées par les besoins de chaque travail – avec pour résultat une oeuvre dont la paternité est celle de tous.
Le théâtre d’Antônio Araújo ne se contente pas d’être seulement un théâtre d’artistes-exécutants ou d’artistes proposant un matériel scénique brut. Il cherche au contraire et surtout à assumer aussi le rôle d’artistes-penseurs, tant dans la recherche méthodologique que dans le sens général du spectacle.
— Deolinda Vilhena, journaliste, productrice et professeur à l’Université de Sao Paulo