Le kyôgen (littéralement « paroles folles ») trouve son origine dans les sarugaku ou « singeries », divertissements mêlant acrobaties, chansons et pantomimes, donnés dès le début du Moyen-Âge par des troupes de comédiens ambulants lors des fêtes saisonnières dans les sanctuaires shintô, l’enceinte des temples bouddhiques, ou les rues de la capitale impériale : Heian (l’actuelle Kyôto). Au fil des siècles, il va devenir inséparable du théâtre nô (l’un et l’autre étant désignés sous le terme générique de nôgaku), où il s’impose sous forme d’interlude (ai-kyôgen) entre deux actes d’un nô, ou d’intermède léger entre deux pièces (hon-kyôgen). Il connaîtra son apogée durant l’époque d’Edo (1603-1867). Mais dans la première moitié du XXe siècle, il est menacé de disparaître faute de mécènes… avant de renaître depuis une cinquantaine d’années. À présent, les pièces de kyôgen, tout en continuant d’être représentées au cours des « journées de nô », ont pris leur autonomie, et sont jouées régulièrement dans tout le Japon, devant un public enthousiaste.
Preuve de la pérennité et de la modernité de cette forme de kyôgen, et également, de son universalité : « Susugigawa » (« La lessive à la rivière »), la pièce sur laquelle Ippei a choisi d’axer son enseignement lors de ce stage, est librement inspirée de la « Farce du Cuvier » (oeuvre française anonyme du XVe siècle), adaptée en 1952 pour le kyôgen par le dramaturge et metteur en scène de théâtre IIZAWA Tadasu. Dans les deux cas, la trame est la même : un homme faible tyrannisé par une épouse et une belle-mère autoritaires qui l’obligent à remplir toutes les tâches domestiques (à commencer par la lessive), va se révolter — très momentanément — pour tenter de reprendre sa place de « patron » de la maisonnée.
Cette pièce, en ce qu’elle brocarde avec malice la bêtise des comportements humains, se situe dans l’esprit le plus authentique du kyôgen. Elle sera l’occasion, pour Ippei, d’initier les participants aux « fondamentaux » du jeu de l’acteur, : apprentissage de mouvements et d’expressions de visages codifiés et stylisés (les kata), destinés paradoxalement à mettre en valeur tous les registres de voix (parlée, modulée, chantée) à travers lesquels se libèrent et se transmettent le comique, porté jusqu’à l’absurde, des « paroles folles ».