Le Kutiyattam, ancêtre du Kathakali, est perpétré depuis un millénaire dans les temples du Kerala par une caste de maîtres-acteurs virtuoses, très peu nombreux : les Chakyar. Cet art est dépositaire du répertoire dramatique ancien en sanskrit et de protocoles de jeu du Traité du théâtre indien, le Natyashastra. Ses codes précis s’inspirent du réel en le sublimant, ouvrant ainsi l’imaginaire de l’interprète. Sur le terrain, la formation, habituellement assurée par l’oncle maternel, dure plus de dix ans. Au quotidien, le jeune acteur s’entraîne à la récitation sanskrite et à l’art des gestes, aux « exercices des yeux », au travail du souffle ou « vent » (vayu), ainsi qu’aux « neuf émotions » fondamentales du théâtre indien. En parallèle, il répète les scènes du répertoire, accueille les héros épiques divinisés. Dans des jeux solitaires fréquents, dits « de substitution », il incarne seul une multitude de rôles, passant de la déesse au dieu, du héros au valet, de l’éléphant au serpent, etc., en repassant toujours par l’acteur, maître d’un jeu distancié.
Le stage propose une initiation à tous les codes de jeu, à la danse et aux changements de rôles. Sous le regard attentif du maître, doublé de corrections tactiles et verbales précises, l’acteur contemporain découvre un corps physique nouveau, un jeu mimétique créateur d’images, et approche l’interprétation des personnages. Les différentes techniques de jeu sont abordées séparément afin d’éveiller pleinement l’implication de chaque partie du corps et des sens dans l’acte théâtral. Le travail vocal et les exercices d’assouplissement et de renforcement du corps forment le « corps-physique » : une sorte de « cadre », dit le maître, perfectionné dans la danse, basée sur le rythme. Le corps ludique naît des exercices oculaires et du travail des gestes et des émotions. L’entraînement au dix exercices des yeux, aux neuf sentiments (l’amour, le mépris, la tristesse, la colère, l’héroïsme, la peur, le dégoût, l’émerveillement, la paix) et l’apprentissage des gestes, basés sur 24 « sceaux » des doigts (les mudra), nous conduiront à jouer : découvrir une sphère de jeu extraordinaire, infinie, et aborder les rôles fantastiques de la mythologie.
— Virginie Johan
C’est franchement une occasion de rencontre pratique absolument exceptionnelle, et sans doute unique, auprès du plus grand, Rama Chakyar. Je le conseillerai aussi vivement aux artistes de la scène, aux chercheurs-praticiens, car la rareté de la transmission de cet art d’une richesse et d’une complexité inouïe, offre des perspectives incroyables pour le développement de la palette d’outils de l’acteur-danseur. Il y a là de quoi aussi s’inspirer pour la préparation, l’entraînement, et la maîtrise artistique, car cet art archaïque est d’une modernité étonnante puisqu’il décompose pour composer, dissocie les niveaux de jeu, articule les perspectives ludiques, psychologiques, épiques et rituelles. Sa découverte, son initiation peuvent non seulement enrichir la technicité actoriale et scénique mais aussi inciter metteurs en scène, musiciens-chanteurs, et performeurs à inventer des formes nouvelles.Jean-François Dusigne