Maud Robart est née en Haïti, dans une île toute imprégnée de l’influence d’une double culture : la culture francophone d’un côté et de l’autre la culture populaire de tradition africaine. Cette double appartenance, que Maud Robart a incorporée depuis son enfance a certainement forgé sa sensibilité, son esprit, son mode d’agir et lui a donné une capacité de faire des choix spécifiques pour orienter sa recherche dans la forme qui en émerge aujourd’hui.
N’a-t-elle pas été, déjà dans les années soixante-dix, cofondatrice d’une expérience, Saint Soleil, découverte par André Malraux, qui la définissait : « l’expérience la plus saisissante – et la seule contrôlable – de peinture magique en notre siècle » ? A travers cette expérience, l’artiste n’avait pas hésité à franchir les frontières de la tradition vaudou, explorant depuis lors les rapports entre rupture et continuité, pour contribuer à donner vie à un mouvement artistique dans lequel la quête de la source « gratuite » de la créativité n’était pas un « jeu vain » mais un acte d’offrande à l’originel .
Discrète sur tout ce qui touche à sa vie personnelle, en ce qui concerne aussi Jerzy Grotowski, Maud Robart ne déroge pas à cette règle, elle qui a collaboré avec lui de 1977 à 1993. Dans son article « Le silence au coeur de la relation », dédié à ce sujet, elle confirme qu’elle n’aime pas en parler, sans doute pour protéger ce que cette relation a de précieux et d’intime pour elle. Mais s’agit-il là seulement de discrétion ? Maud Robart poursuit son itinéraire d’exploration avec la conscience du passeur, « solidaire avec d’autres passeurs, vivants ou morts, au service tous d’une cause qui dépassant les individualités traverse aussi les temps et les espaces » . Maud Robart tient à souligner, chaque fois qu’il est possible, la nécessité d’associer à la pensée la force de l’intuition et du ressenti (ou mieux, selon ses mots, elle « invite plutôt à découvrir un autre mode de fonctionnement mental, transparent, clair, silencieux, à travers un mode d’action libéré de l’influence prédominante du raisonnement discriminateur, et utilisant les ressources du corps, de la sensibilité, de l’intuition, de l’imagination, de l’esprit analogique… »)
Et cela fait d’elle une intelligence très fine, capable d’une vision vaste, caractérisée par un sentiment « religieux », dans son sens étymologique primaire de religare, relier, joindre. De la transparence de ce sentiment participe, lui aussi, le regard qu’elle tourne sur l’Arkhê du chant, matrice originelle. La rigueur et la précision avec laquelle Maud Robart oeuvre dans l’exploration artistique incite à prendre conscience de ses propres mécanismes de fonctionnement et d’avancer dans la connaissance de soi-même. Cette façon de procéder nous a révélé et fait toucher du doigt l’un des axiomes à la base de son travail : la possibilité, voire la nécéssité, de ne pas isoler dans des compartiments étanches la théorie de la pratique et aussi de la grande vie. Pour citer Jerzy Grotowsky : « Chaque travail précis et concret, mais vraiment précis et concret, peut constituer le véhicule d’une technique personnelle ».
— D’après Luisa Tinti, extrait du numéro monographique La recherche de Maud Robart, l’horizon archaique et intemporel du chant intégré, revue trimestrielle Biblioteca Teatrale n°77 Bulzoni Editore.
L’approche précise du travail se fonde sur la pratique de chants dont les caractéristiques formelles sont régies par le mode répétitif. L’intention est de permettre aux participants actifs de rechercher la conjonction entre la structure objective de ces éléments fixés par la tradition (chants rituels afro-haïtiens) et la spontanéité, facteur personnel propre à chaque artiste . La spontanéité dont il s’agit ici n’a pas le caractère théâtral, elle engage ce qui est personnel : les réactions intimes de l’artiste, ses motivations, sa mémoire…
Le processus de travail se construit à travers l’écoute, l’adaptation aux autres et à l’espace, à travers l’attention accordée à la précision non seulement mélodique et rythmique de ces chants, mais aussi à celle qui est liée aux perceptions internes du chanteur. Précision/spontanéité est le type de relation qui est à l’oeuvre dans le processus organique que ces chants tendent à mobiliser .
Cet atelier s’adresse à des artistes, en bonne santé physique et mentale, chantant juste, capables d’assumer les conséquences d’une forte mise en jeu personnelle et à tous ceux qui éprouvent la nécessité d’entrer, en pleine conscience, dans un processus de découverte artistique et personnelle.