L’une des caractéristiques du Teatro da Vertigem est sa façon de travailler avec la participation de tous les membres du groupe. Le processus de création de l’œuvre scénique peut se réaliser dans toute sa plénitude grâce à une dynamique de travail ou plutôt une méthodologie de création, baptisée par Antônio « processo colaborativo », dans laquelle chacun des membres du groupe, à partir de ses fonctions spécifiques a le même espace pour faire des propositions. Des hiérarchies mobiles, décidées par les besoins de chaque travail – se mettent en place, avec pour résultat une œuvre dont la genèse est collective, dont le geste d’auteur est produit par tous.
Pour la réalisation de ce stage à l’ARTA, Antônio a convié deux de ses partenaires de travail de longue date, rencontrés lors de ses incursions européennes, la metteure en scène et dramaturge Maria Clara Ferrer et l’acteur Nicolas Gonzales. Faisant dialoguer leurs recherches actuelles et réunissant leurs outils de travail, les trois artistes-chercheurs proposent, pour ce stage, une immersion dans la matrice du Teatro da Vertigem — aussi bien en ce qui concerne la démarche in site specific que le « processo colaborativo » — alliant deux versants indissociables, l’intérieur et l’extérieur. Ces deux versants se développent principalement sur deux niveaux, le corps et l’espace.
C’est d’abord de l’arrière-pays de l’acteur dont il s’agira, son intérieur, ce qui fait sa singularité, sa pensée, ses émotions, sa technique, ses maladresses et tout ce qu’il ne maîtrise pas. Et comment donner une articulation scénique, un extérieur à cet intérieur, une texture tangible à cette complexité qui le constitue ? Car c’est ce qui est demandé par Tó aux acteurs du groupe, de se positionner poétiquement et politiquement, de proposer leur regard sur notre monde. Il s’agira donc de réagir à des « perturbations », des stimulations de travail, introspectives, en groupe ou solitaire, et à extirper puis sculpter afin de proposer un matériau scénique en soi, un cadre pensé et créé par l’acteur lui-même, à tous les niveaux, passant ainsi du dedans au dehors.
Il s’agira d’expérimenter d’abord « au chaud », à l’intérieur, dans une salle à l’abri des perturbations pour ensuite éprouver le réel, pouvoir se percuter à la vie, à l’imprévu, au danger, à la honte, convoquer l’irrévérence pour éprouver la vitalité urbaine et se laisser contaminer. Il s’agira pour chacun de « mettre les mains dans le cambouis », dans le moteur du Teatro de Vertigem qui ne cesse de bousculer et de « perturber » la place du spectateur, le rôle de l’acteur dans un environnement inhabituel, l’espace public, ce lieu de tout le monde, l’agora scénique.
Par une série d’exercices pratiqués au sein du Vertigem, il s’agira alors d’oublier le cadre du stage et de plonger dans une période exploratoire pendant deux semaines, comme les acteurs du Vertigem la vivent au Brésil, et que chaque participant en sorte déplacé.
La trajectoire du Teatro da Vertigem est un véritable enchaînement de spectacles coups de poing. Les trois premiers, Paradis perdu (1992), Le livre de Job (1995) et Apocalypse 1.11 (2000), regroupés sous le terme de trilogie Biblique, sont créés pour un public en déambulation dans des lieux non conventionnels, non-théâtraux, à savoir une église catholique, un hôpital désaffecté et une prison désaffectée. Après cette première décennie de travail en espace clos, le Vertigem décide d’aller vers l’extérieur d’élargir son champ d’action e et d’investir le paysage, Pour aborder l’identité brésilienne, le groupe choisit de s’emparer d’une des principales artères de la ville de Sāo Paulo, le fleuve Tietê, l’un des plus pollués au monde. Surmontant les difficultés techniques et sanitaires, il y créa le BR-3 en 2006, un spectacle sous forme d’embarcation où les spectateurs, embarqués sur à bord d’un bateau mouche, assistaient à ce contre-monument de l’histoire brésilienne se déroulant sur les berges du fleuve mais également sur le fleuve lui-même. De ce spectacle, le metteur en scène José Celso Martinez Corrêa écrivit que « quand apparaît une chose comme BR-3 c’est un symptôme que le pays est en train de vivre un grand moment, qui appelle toutes les énergies de la création pour les transformations que nous devrons faire. Aucune société décadente ne produit une œuvre pareille. Le théâtre devient l’endroit de l’énergie productrice de la joie créative capable d’affronter les impasses non résolues par la violence. ».
Après BR-3, l’espace public devint le champ d’action de prédilection du collectif, avec, en 2012, la création de Bom Retiro, 958m, le titre du spectacle porte le nom de son personnage principal, à savoir le quartier de la ville où il a lieu, et du nombre de mètres que les spectateurs y parcouraient pendant la déambulation. Puis vint A ultima palavra é a pénultima créé dans un tunnel désaffecté, dans lequel les acteurs se mêlaient aux passants alors que les spectateurs étaient assis, cachés derrière des vitrines aux vitres sans tain. Antonio créa également plusieurs opéras, de manière non conventionnelle et fut invité dans le cadre du projet « Villes en scènes » en 2014 à créer avec des acteurs brésiliens, belges et français, Dire ce qu’on ne pense pas dans des langues qu’on ne parle pas dans la Bourse de Bruxelles et présenté au Festival d’Avignon. Invité par la Biennale de Berlin, Araujo créa en 2020, en pleine crise sanitaire, Marche arrière, une performance sous forme d’occupation urbaine, pendant laquelle des centaines de voitures roulaient en marche arrière dans l’avenue Paulista, une des plus grandes de Sāo Paulo, un véritable contrepoint à la politique menée. Actuellement, le groupe est en préparation de son prochain processus de création, dont les premières périodes d’immersion et de recherche commenceront dès la rentrée prochaine.
Maria Clara Ferrer, enseignante-chercheuse à l’Université de Sāo Joāo del-Rei, metteure en scène, dramaturge et traductrice. Assistante d’Antônio Araújo lors de son premier stage en France en 2009 à ARTA puis lors de la création de « Dire ce qu’on ne pense pas… » à Bruxelles et au Festival d’Avignon.
Nicolas Gonzales, acteur. Dernièrement en France sous la direction de Galin Stoev. Avec Antônio Araújo pour « Dire ce qu’on ne pense pas… » puis au Brésil pour « A Ultima palavra é a pénultima 2.0 ». Travaille actuellement avec le Teatro da Vertigem.