Récit et choralité – L’acteur élargi

Du 1er au 11 décembre 2020

Stage dirigé par Marcus Borja

« Toute parole reste en-deçà de nos malheurs. » Euripide – la Folie d’Héraclès

« Je vais raconter pour ne pas oublier. » Dostoïevski

Ce stage, destiné aux comédien.ne.s professionnels ou en formation et aux artistes de la scène en général, propose une approche musicale de la scène ainsi qu’une exploration du récit au théâtre sous le prisme de la choralité.

Transmission Marcus Borja Photo: Lucas Ennebeck

La Musicalité de la Scène

Il s’agit d’interroger et faire agir, dans le travail du plateau, la similarité et la complémentarité des modes de perception du temps et de l’espace dans la musique et dans le théâtre avec une attention particulière accordée à la vocalité de l’acteur-performer. Nous nous intéresserons aux notions d’écoute, rythme, phrasé, ligne, harmonie, contrepoint, polyphonie, aussi bien dans leur rapport au travail du texte qu’à la dynamique et aux mouvements scéniques. Il s’agit de mettre en évidence, au moyen de différents exercices, l’essence musicale du théâtre – notamment en ce qui concerne l’entraînement de l’écoute, le rapport temps-rythme et l’harmonie chorale de la scène – au service des situations et des compositions dramatiques que nous créerons ensemble. L’élément textuel, l’élément corporel et l’élément vocal seront tour à tour et simultanément convoqués dans l’espace-temps de ce parcours aux voix multiples.

L'acteur élargi - Marcus Borja Photo: Christophe Raynaud de Lage

Le Récit

Dramatiser l’épique. Donner à voir ce qu’on a vu. Raconter pour faire vivre. Je vous propose de nous attaquer à une matière textuelle bien précise et qui, par sa forme même, pose un problème fondamental de notre théâtre. Il s'agit des récits des messagers dans les tragédies antiques. Ce personnage en tension entre l’’épique et le dramatique, incarne une série de contradictions qu’il est passionnant d’explorer sur un plateau. Il n'est ni protagoniste, ni antagoniste (ni choreute), mais sans lui l'action ne peut avancer. Il est porteur d'un message crucial mais il donnerait tout pour ne pas le délivrer. Il doit avoir le recul du narrateur-chroniqueur mais ne peut se soustraire à la terreur empathique du témoin oculaire. Le drame ne le change pas (tel qu'il entre en scène il en sort) mais il l’incarne et le change à jamais.

Aux récits tragiques des messagers antiques s’ajouteront des récits réels de « tragédies » récentes extraits notamment des œuvres de Svetlana Alexievitch. D’autres auteurs, ainsi que des récits écrits par les participants eux-mêmes, pourront éventuellement se joindre à ces voix. Le travail de ces matériaux textuels sera fait à la fois individuellement et en collectif. Comment mettre en scène le récit et en faire jaillir les voix multiples contenues dans la voix principale ? Comment refléter la communauté dans la solitude, l’expérience collective dans le récit individuel, la voix de tout un peuple dans la bouche d’un seul être ?

Cette recherche s’articule autour de trois axes principaux :

  • le travail de l’écoute (interne et externe, individuelle et collective), socle indispensable au jeu de l’acteur, résolument inscrite dans le présent de la scène et de l’action et garant de la qualité de son interaction avec le texte, avec l’autre, avec l’espace.
  • le travail de la voix et la recherche sonore à partir du matériau vocal aussi bien du point de vue technique qu’expressif. Ce travail se décline dans différents contextes d’exécution : le rythme et la musicalité du texte, la voix chantée, l’improvisation polyphonique.
  • le travail de l’espace, par la création, transformation et mise en mouvement d’espaces poétiques à partir de l’écoute, de la vocalité et des corps en mouvement.

L'acteur élargi - Marcus Borja Photo: Christophe Raynaud de Lage

L’écoute est le pilier qui soutient l’ensemble du travail. Elle est perçue ici comme une traversée active de l’espace et de l’autre. C’est précisément cette tension vers l’autre qui génère un état de pleine présence, une potentialité créative de/dans l’instant présent partagé qui, même en l’absence de sons « audibles » rend même le silence palpable.

La voix nous intéressera ici en toute sa tactilité et sa corporalité. Émanation concrète du présent sensible, elle est indissociable du corps qui la porte, l’apporte et la supporte. La phonè est à la fois productrice et produit de la vibration du son, le corps expérimente et se fait traverser par l’énergie qu’il a lui-même générée. Que ce soit la voix parlée, chantée, criée, choralisée, tout ceci constituera à la fois l’outillage et la matière-première de notre travail.

Plus qu’une chose, la voix peut aussi être un espace déployé dans le temps. Elle est le « lieu d’une absence qui, en elle, se mue en présence » (Paul Zumthor). Il s’agit ici de penser la vocalité comme localité : la voix non seulement tisseuse de relations, mais aussi bâtisseuse d’espaces sensibles, univers et paysages sonores. Elle est certes, ce pont, ce bras tendu vers l’autre traversant l’espace, mais peut aussi, avec le corps, incarner cet espace mouvant et en perpétuelle réinvention.

Parcours d’entrainement

Échauffement collectif et préparation du corps/voix : verticalité, élasticité, gestion du souffle et colonne d’air, redéfinition du rapport inspiration/expiration, résonateurs corporels, points d’articulation (voyelles, consonnes), projection, émission, amplitude de la voix parlée et chantée.

Exercices d’entraînement : rythme, écoute, adresse, réactivité, précision du geste corporel et vocal, rapports corps-voix-espace, improvisation. Travail sur le texte (individuel et collectif) : phonétique, ponctuation, rythmique, versification, rapports syntaxe/musicalité. Pratique chorale polyphonique : notions d’harmonie, contrepoint, écoute chorale et sonorité d’ensemble.

Transmission Marcus Borja Photo: Lucas Ennebeck

Consignes préalables

Chaque participant devra préparer un chant (dans n’importe quelle langue), de préférence traditionnel, rituel (deuil, prière, supplication, sacrifice, offrande, mariage, funérailles… quel que soit le culte ou l’origine ethnique) ou directement lié à un événement historico-politique du passé (chant de guerre, de ralliement, de contestation, de révolution…). Bref, un chant qui appelle et reflète une ancestralité/mémoire collective au-delà de toute sphère commerciale.

Jouer d’un instrument de musique, sans être une obligation, sera sans doute un « plus » dans ce parcours de sons et de sens…

Notice biographique

Marcus Borja est acteur, auteur, metteur en scène, musicien et chef de chœur.

Deux fois docteur – Sorbonne Nouvelle et Université de São Paulo (2015) et SACRe : Paris Sciences et Lettres (2017) – il se forme d’abord au Brésil, son pays natal, où il fait ses premiers pas dans la vie professionnelle. Il signe sa première mise en scène à l’âge de 20 ans : Sete Mitos de Amor (Sept mythes d’amour), adaptation de récits mythique de l’antiquité gréco-latine dont il signe également les décors, les costumes et la direction musicale. Ce spectacle total réunissait trente interprètes sur le plateau (entre acteurs, actrices et un quintette de musique ancienne).

Il s’installe en France en 2004 après avoir obtenu son diplôme de Lettres. Il y suit le cursus de l’École Internationale Jaques Lecoq avant d’intégrer l’École supérieure d’art dramatique de Paris (ESAD) et, plus tard, le Conservatoire national supérieur d’art dramatique en tant que metteur en scène. Il est aussi diplômé en histoire de l’art et muséologie de l’Ecole du Louvre. Ses nombreuses formations se reflètent dans le caractère polyphonique et multiforme de ses créations (théâtre, performance, concert, opéra, marionnettes…)  où la choralité et le croisement des arts tiennent une place centrale.

Il a travaillé notamment avec Sophie Loucachevsky, Fausto Paravidino, Jacques Rebotier, Yoshi Oida, Christiane Jatahy, Meredith Monk, Éric Ruf, Christophe Rauck et Robert Wilson. Le Chant des Signes, commande du festival des Francophonies en Limousin (2015) ; Théâtre, spectacle choral pour 50 interprètes en 38 langues (2015, 2016) ; Intranquillité, d’après Fernando Pessoa (2016, 2017) ; Bacchantes, d’après la tragédie d’Euripide qu’il a lui-même traduite du grec ancien (2017), ou encore Zones en Travaux, commande du Théâtre de la Ville avec quarante jeunes artistes de divers pays entre 18 et 21 ans, sont en relation directe avec son parcours multidisciplinaire.

Parlant couramment cinq langues, Marcus Borja se perçoit comme un artiste-chercheur-pédagogue. Ces trois perspectives s’articulent et se nourrissent réciproquement dans son parcours et dans ses créations. Il enseigne notamment à l’ESAD, à l’Ecole du Nord (Lille), aux Cours Florent et aux universités Sorbonne Nouvelle et Paris 8 Vincennes Saint-Denis en plus des divers stages et maser classes qu’il donne en France comme à l’étranger.

Il a publié plusieurs articles, aussi bien sur sa démarche créatrice que sur des contextes artistiques qui l’ont nourrie.

En 2021 il créera Aιχμάλωτεσ / Captives  au festival international de théâtre de Milos (Grèce), Note di Notte, spectacle commande par la Villa Médicis à Rome où il sera artiste résident au printemps prochain. Un séjour artistique de six mois au Japon vient s’ajouter à cette liste de projets internationaux puisqu’il est lauréat du programme de résidence 2020 de la Villa Kujoyama (Kyoto).

Site web : marcusborja-cieinterpreludes.com